Regarder ou non la série En thérapie, sur Arte ?

3 Mar 2021 | ACTUALITÉS

Depuis trois semaines la question qui revient le plus souvent chez mes clients est la suivante : « que pensez-vous de la série diffusée sur Arte : En thérapie ? ».
Ayant vu la série américaine « In treatment » je n’avais pas l’intention de voir son équivalent français. Et puis finalement je me suis laissé aller à regarder …
Alors, est ce que ça ressemble vraiment à ça, la vie de psy ? Et bien, oui et non.
Explications par Christine Chiquet, présidente de la commission Déontologie de la FF2P.

 

Oui parce que la série vise à montrer la pratique du psy en y intégrant l’envers du décor. Rien que pour cela je trouve que cette série vaut la peine d’être vue.

Bien entendu, chacun d’entre nous ne se reconnaît pas nécessairement dans le psy de la série. Ce psy, Philippe, est médecin, donc tenu par des obligations de médecin (produire des expertises, prescrire des médicaments) et de plus, il se réfère à la psychanalyse, travaillant essentiellement avec l’interprétation et le transfert. Alors bien sûr il ne rend pas compte à lui seul des pratiques des psychopraticiens.

Mais, et c’est un bon point, la série évite l’écueil de montrer un psy lisse et sans problème. C’est sans doute ce que je préfère dans cette série. Le psy a aussi des problèmes. Sa vie personnelle n’est pas nécessairement un long fleuve tranquille, il a des mouvements d’humeur (et comment !), il est touché par ses clients, sa femme (attention spoiler) le trompe…
La série met également à bas l’image d’un psy omniscient qui ne fait jamais d’erreur (projection largement répandue du parent idéalisé) et ouvre l’espace d’un droit à l’erreur qui est le garant d’une vraie intersubjectivité. L’autre qu’est le patient échappe toujours au psy, c’est bien de le montrer. J’adore !

Les clients sont attachants, crédibles dans leurs histoires et leurs souffrances. C’est sa qualité de savoir nous cueillir dans notre langue, dans nos références, et dans nos conflictualités (magnifique Reda Kateb dont le personnage refuse de parler arabe quand bien même il le comprend : « mon père serait fou qu’on me dise arabe ».)

J’aime aussi que la série intègre la présence de la supervision comme partie intégrante du métier de psy. Hors de question de prétendre exercer la psychothérapie si l’on n’adhère pas à cette nécessité impérieuse d’exposer sa pratique face à un tiers. Celui qui ne s’y soumet pas risque bien de basculer dans le registre du gourou, de l’auto-référencement.
Car nécessairement se met en place dans le lien entre un psy et son client ce qu’on appelle le transfert.  C’est à dire une forme relationnelle apportée par le patient, qui émane de son histoire, et dont la particularité est qu’elle peut embarquer le psy à son insu. C’est ce que l’on appelle le contre – transfert.
En parler en supervision est sans aucun doute la meilleure façon de remettre en mouvement ces formes relationnelles et d’empêcher qu’elles ne se répètent au détriment du client.

Sauf que, et j’en arrive à mes réserves, rien ne me semble crédible dans les épisodes relatifs à la supervision.

La superviseuse, Esther est froide, répond du tac au tac comme si elle avait tout vu, tout compris de ce que le psy amène dans cet espace, elle est « au taquet ».
Le psy, lui, amène des manquements grossiers à la déontologie, qui semblent traités en supervision avec une forme de complaisance. Il est dommage de laisser entendre qu’un manquement à la déontologie puisse être travaillé dans l’entre deux de la superviseuse et du supervisé sous prétexte qu’ils se connaissent bien et qu’à ce titre, elle est la mieux à même de le comprendre et de l’aider à se reprendre. On voit là à l’œuvre une sorte de confusion entre l’espace de thérapie, qui engage une personne apportant ses souffrances et ses points aveugles, et l’espace de supervision, qui est l’endroit où un professionnel soumet sa pratique à l’observation d’un tiers. Bien entendue, du fait du phénomène transférentiel, le professionnel peut retourner dans des zones encore aveugles de sa propres histoire ; c’est même là toute la difficulté de ce métier.
C’est là tout l’enjeu de la supervision que de mettre en lumière ces points aveugles, comme le fait la thérapie, mais avec une intention différente de celle de la thérapie : il s’agit là de protéger les clients avant toute chose.

Et la série de ce point de vue-là, n’est pas très rassurante : on passe beaucoup de temps à faire des liens entre l’histoire de Philippe et ce qui se passe avec ses client.e.s. Mais la question essentielle de « qu’est ce qui serait le mieux pour cette personne » n’est jamais clairement posée. C’est tout de même dommage.

Autre bizarrerie à mes yeux, le psy s’autorise à passer ses nerfs sur sa superviseuse, ce qui témoigne aussi d’un manque de professionnalisme et du fait que la relation n’est pas au bon endroit. D’ailleurs, le spectateur comprend assez vite que ces deux-là se connaissent depuis longtemps, que les différents registres se sont succédés au fil du temps : analyste / analysant, superviseuse / analyste, collègues / ami, puis comble de la confusion et de la faute éthique : thérapeute de couple / mari et femme… Comment espérer trouver des repères auprès de professionnels aussi peu clairs sur ce qu’est l’enjeu de la place (héritière pourtant directe de la castration œdipienne selon Freud) ? il est dommage que cette fonction de supervision essentielle pour la pratique de la psychothérapie soit ainsi rendue peu lisible, voire confuse aux yeux du public qui visionne la série.

Du côté des clients, on passe aussi allègrement ses nerfs sur le psy, dans des débordements sarcastiques, dans des agacements, dans des provocations, dans des claquements de porte, et ce de façon assez régulière. Alors, oui des clients en colère ou agressifs cela arrive, bien entendu, mais plutôt moins souvent que les personnes n’osant pas s’affirmer. On comprend aisément que la colère est plus télégénique et plus efficace pour captiver le spectateur que la timidité, le silence ou la difficulté à exprimer ses émotions. C’est pourtant une grande partie de ce qui amène les personnes en thérapie. Il faut déjà aller très bien (ou alors très mal) pour oser se mettre en colère contre son psy !

Ce colères, suivies de radoucissements et de prises de conscience un peu magiques, ces rebondissements dans les processus présentés, s’ils répondent au nécessaire tempo d’une série, ont là encore comme inconvénient de brouiller un peu ce qui se passe réellement dans un espace de thérapie. Ce rythme gomme la dimension du temps, si nécessaire pour opérer des prises de conscience ou des changements. Cela laisse un petit goût de « magie », comme si le simple fait de venir s‘assoir sur ce divan produisait immédiatement et à coup sûr des effets spectaculaires. Cela vend un peu du rêve … là où nous professionnels (et anciens clients) savons bien combien il faut de temps, de courage, de confiance pour aller regarder ce qui nous anime sous la couche rassurante de la volonté consciente.

Mais gageons que les téléspectateurs qui ne tombent sans doute pas par hasard sur cette série ne sont pas dupes. Et se souviendront que c’est une fiction, même si elle est jouée par des acteurs dont certains sont vraiment remarquables, avec des mots qui font mouche, et qu’elle fait référence à un contexte qui nous a tous secoués (celui des attentats à Paris de novembre 2015).

Alors oui je la recommande comme une série qui raconte une histoire, une histoire de personnes proches de nous dans leurs souffrances, et une histoire de psy qu’on ne saurait confondre avec l’histoire de tous les psys, mais qui nous permet de nous représenter ce qui se passe dans l’intime du cabinet et de découvrir, selon les mots de Caroline Eliacheff dans une interview publiée le 11 février 2021 sur le site de Marianne, que « ce psy, ce « sujet supposé savoir », en sait plus sur les autres que sur lui-même ».

crédits photo : Arte